Errements d'un vieil homme... [pv]

Sujet: Errements d'un vieil homme... [pv] 30.10.10 1:21

12h00, la pause déjeuner… sans le déjeuner. Jack était déjà passé à la cafétéria, avait pris un croissant, un bout de camembert et un bon café une heure auparavant. Il congédia Walter pour le dernier rapport de la mi-journée et demanda à être tranquille. Fermant les petits rideaux à la fenêtre et la porte du bureau, le Général gagna son siège en cuir et s’y installa confortablement. Il y ouvrit son ordinateur portable et alluma l’appareil, qui émit un léger son d’accueil chaleureux spécial Windows. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Il était fier d’avoir appris à magner cette technologie moderne au point de s’en servir régulièrement, particulièrement lors de ses moments de détentes comme la pause du midi.
Glissant son doigt sur la plate-forme qui servait de souris, manquant quelque peu de délicatesse et de précision, O’Neill cliqua sur l’icône du bloc-notes en plein milieu de l’écran. Faisant craquer ses doigts avant de prendre une cigarette et la mettre à sa bouche, sans la griller, il commença à taper ce qu’il avait déjà écrit quelques jours plus tôt, un soir de grande dépression… atmosphérique !

Citation :: « Me revoilà aujourd’hui devant mon clavier, à écrire comme une gamine de 13 ans pendant moment de solitude, bercé par le son tonitruant d’une musique déprimante. Et là, s’il me manque quelque chose, c’est bien la musique… Une vraie mélodie triste et nostalgique qui fait tant souffrir et vivre à la fois. Pas du métal ni du rock, pas des paroles qui emmerdent le monde et qui proclament « Fuck ! » à tout le monde. De la vraie musique, celle qui fait rêver et trembler notre être. Les temps changent… Pas moi. Je suis fier d’annoncer que j’appartiens à la vieille école, celle de l’amour propre inébranlable, du romantisme oublié et de la dignité assumée… Vous remarquerez les rimes en ‘é’, petite folie de ce journal de bord afin de bercer votre lecture, qui que vous soyez… Même si j’écris avant tout pour moi-même, je garde espoir qu’un jour, une âme innocente lira ces mots et en retiendra que le nécessaire : ne faites pas comme moi, surtout pas. La vie est trop courte, ne vous embêtez pas à écrire un journal intime dont tout le monde s’en fou. C’est vrai que c’est pratique, rapide et facile à utiliser. Puis ça coûte moins cher qu’un rendez-vous chez ce coquin de thérapeute. Mais au final, tout ça se terminera sous l’action d’une seule et unique touche… Echap. »

Jack appuya sur la touche concernée et l’ordinateur lui demanda s’il voulait sauvegarder. Jusqu'à maintenant, il avait toujours refusé. Il hésita le temps de quelques longues secondes, toujours un léger sourire aux lèvres, avant de répondre « oui » et de le mettre sur le bureau. Un geste qui le surprit lui-même. Il ferma ensuite l’écran et éteignit l’appareil après avoir jeté un bref coup d’œil à sa montre : 12h15… Il avait mis 15 minutes pour pondre des mots insignifiants, telle une branlette spirituelle, qui lui avait fait un bien étonnant… C'était peu, mais il en était fier ! Sans aucun doute, il recommencerait demain à la même heure. Et une fois de plus, la question de la sauvegarde ferait débat entre son coeur et sa raison.
Se levant de son bureau, Jack partit pour laisser place au Général, tel un costume qu'il aurait enfilé pour changer de rôle entre deux scènes. Il se dirigea vers la pièce d’à côté où une nouvelle équipe l’attendait pour un nouveau briefing… Et tout ça, sous les clameurs d’une nouvelle journée sans soleil…

Arrivé au SGC : 06/10/2005

Alors qu’il finissait d’écrire une lettre de condoléance à la famille d’un jeune soldat mort au combat sur une planète lointaine, un bruit de conversation alarmée arriva jusqu’aux oreilles du Général O’Neill. Il savait qu’il aurait du fermer cette porte avant de s’asseoir et de s’occuper de ce travail délicat. Un de ses homme était décédé, un jeune de 25 ans… Un sentiment de tristesse avait envahi Jack lorsqu’il avait vu son corps allongé sur la civière ensanglantée. Maintenant, il avait besoin de concentration pour trouver les mots nécessaires afin de rendre hommage à cette vie si jeune aux yeux de ses parents qui n’étaient même pas encore au courant de la disparition soudaine de leur fils. La force des mots devaient soulager leur future douleur et les aider à ne pas sombrer dans le désespoir… Une chose pas facile lorsqu’un boucan l’empêchait de travailler attentivement.
O’Neill se leva avec toutes les difficultés du monde et ferma la porte. Il retourna ensuite à son bureau, cigarette non allumée dans la bouche, et lit les quelques lignes qu’il avait déjà commencé à taper sur son ordinateur.
Vingt cinq ans… Tellement jeune…
Encore une fois, l’expérience et la force de l’âge avait été préservée au détriment de la jeunesse. En d’autres termes, si Dieu existait, il avait choisi de sauvegarder les éléments plus âgés et de prendre la vie la plus innocente. Un constat affligeant et illogique. Les parents ne devraient pas vivre assez longtemps pour assister à l’enterrement de leur propre enfant…

« Mon Général ? » La voix aigue du Sergent Harriman l’arracha de ses pensées. N’avait-il pas fermé la porte à l’instant même ?

« Nous avons un problème. »

Vu sa mine, Jack ne se posa pas de question et accepta de suivre le Sergent, prenant soin de fermer le bureau après sa sortie. L’homme descendit l’escalier menant au couloir, où plusieurs membres du personnel les regardaient comme s’ils les voyaient pour la première fois. *Qu'est-ce qui y a bon sang ?* Il le pensa tellement fort qu’il dut le dire à haute voix. Walter répondit que c’était au sujet de sa secrétaire générale, la doyenne du milieu. Celle-ci avait été trouvée inconsciente dans son bureau de travail… Mais qu’entendait-il par inconsciente ?
Parcourant les quelques derniers mètres, O’Neill vit un troupeau qui attendait devant la porte d’une petite pièce à peine plus grande qu’un appart étudiant. Il y avait beaucoup de personnes curieuses, dont l’utilité de leur présence restait douteuse d’autant plus qu’il n’y avait pas de médecin parmi eux.

« Vous avez prévenu l’équipe médicale ? »

Walter répondit par l’affirmative lorsqu’ils entrèrent dans le bureau de la secrétaire, le Sergent-major Georgette Finch. Cette femme était là depuis le début et accomplissait son travail avec efficacité. Du haut de ses 75 ans, rare dans ce milieu, son expérience dans le domaine administratif et sa détermination à vouloir rendre service lui avait valu une récente promotion et un bon post. Elle était là depuis si longtemps et était si discrète dans son travail, qu’elle avait fini par se confondre avec les meubles de la pièce, tous remplis de paperasses importantes mais faisant partis du passé, oubliés et ensevelis par la poussière d’antan…
La secrétaire était assise sur son siège devant un écran d’ordinateur tellement vieux qu’on aurait pu le confondre avec un minitel. Elle ne bougeait plus et avait la tête penchée vers l’arrière, la bouche grande ouverte n’émettant plus aucun son.

« Que se passe-t-il ? » Demanda Jack à la foule qui s’était regroupée autour de madame Finch.

« Elle… Elle ne respire plus… » Gloussa une autre secrétaire de ce niveau, plus jeune et un peu trop émotive pour une militaire. Elle avait les larmes aux yeux. D’ailleurs, tout le monde avait une tête d’enterrement, même Walter, d’habitude si serein avec ses pommettes toutes roses, avait blanchi comme s’il s’était retrouvé devant une scène de crime abominable. Jack ne put s’empêcher d’être pris par ce sentiment de tristesse collectif qui plombait les lieux.

« Que… quoi ? » Ses lèvres ne purent retenir sa cigarette de tomber par terre. Au même moment, l’équipe médicale faisait son apparition et demandait aux personnes de bouger pour pouvoir entrer dans la pièce. Mais il était trop tard, Georgette paraissait belle et bien morte. Ses paupières fatiguées s’étaient refermées une fois pour toute dans cet endroit sombre et pesant.

« C’est… Pas possible. » Fit-il alors que tout le monde avait la main à la bouche, suivi d’un profond « Doux Jésus… » qui sortit des entrailles du Général tandis que le médecin chef analysait l’état de la secrétaire vétérane. Celui-ci releva la tête et fit signe qu’il n’y avait plus rien à voir. Ils étaient arrivés trop tard. Probablement qu’elle était décédée depuis plusieurs minutes, voire peut être des heures, avant que quelqu’un ne s’en rende compte.

« Il va falloir la transporter… Je pratiquerais une autopsie pour être sûr des causes de son décès. »

O’Neill approuva de la tête, avalant difficilement une boule d’angoisse qui s’était formée dans sa gorge. Toutes les autres personnes étaient touchées par cette nouvelle et ne quittèrent pas des yeux le corps sans vie de la secrétaire.
Le Général lui-même n’en revenait pas… Dès sa prise de commandement, il se souvint que le Général Hammond lui avait proposé la retraite à 69 ans, et qu’elle avait poliment refusée… Hammond l’avait bien connue, ils avaient souvent travaillé ensemble avant même d’être au SGC. Peterson avait ensuite décidé de la garder, ne voulant pas d’une jeunette inexpérimentée. Et Jack avait suivi la tradition…
Seulement voilà, les vieilles chaussettes se trouaient, les vieux bols avaient fini par se percer et c’est un bout d’histoire de la vieille école qui s’en était allée avec l’âme de Madame Finch. La défunte fut portée par les infirmiers et sortie de la salle, sous les yeux humides d’un Walter bouleversé.

« Il faut prévenir sa famille… »Suggéra-t-il, le regard vague et l’esprit en pleine réflexion.

« Je m’en occupe. Je crois qu’elle a une nièce, quelque part sur la côte Est… » Jack mit une main dans ses cheveux, perturbé lui aussi. Il se souvint alors d’une conversation qu’il avait eue, lors d’une soirée arrosée, au sujet de la sulfureuse Georgette Finch, avec un Hammond non sensible à ses charmes et à ses formes… Enfin, à l’époque… Il se rappela quelques petites choses qu’il savait à son sujet, les seules informations personnelles qu’il avait sur elle.

« Elle était nait prématurément en haut d’un gratte-ciel, à New York… Et elle décéda au 27e niveau d’une base souterraine... » Il baissa les yeux en signe de deuil.

« C’était… C’était une aventurière. »

Il prit une grande inspiration et décida de prendre congé. Il vit que tous les regards étaient braqués sur lui, comme s’ils s’étaient attendus à avoir un discours plus long et honorable à ce sujet. Mais Jack la connaissait à peine… Il avait connaissance seulement des grandes lignes écrites dans le dossier de cette femme. Jamais il n’avait pris le temps de lui parler tranquillement et d’en savoir plus sur elle. Et il était trop tard maintenant.

« Retournez au travail. »

L’air un peu abattu, le Général remonta le couloir et les escaliers pour rejoindre son bureau. Entre temps, il réfléchit déjà à prendre une remplaçante, une tâche difficile…
Quand il entra dans son bureau et s’assit sur son siège, il se rendit compte qu’il avait oublié de fermer la porte. Il porta son attention sur son ordinateur, où la lettre de condoléance du jeune militaire de 25 piges décédé attendait d’être terminée… Ce type était si jeune… Il était mort, tout comme Georgette Finch… Mais elle avait le triple de son âge à ce moment là. Et tandis que lui avait perdu la vie pour protéger celle des autres, dans un sacrifice honorable, elle… Elle avait rendu son dernier soupir dans l’ignorance la plus totale.
S’il y avait à choisir, Jack n’aurait pas réfléchi longtemps, il aurait pris la première option… Et pourtant, tout semblait croire qu’il se dirigeait plutôt vers la seconde et qu’un destin semblable à celui de Madame Finch l’attendait quelque part dans un futur plus ou moins proche. Ici, dans cette base, dans cette pièce…
La tête remplie d’idées maussades et pessimistes, il se remit à son travail d’écriture telle une machine résolue à attendre son heure arriver, tout en voyant défiler celle des autres…