Chambre de Mike Shirow, dans la soirée, heure indéterminée.
L’ampoule du plafonnier, accusant de trop nombreuses heures de service, projetait sur la chambre une lumière terne. La décoration étant inexistante, la pièce ne méritait aucune mise en valeur particulière : murs de béton recouvert d’une couche de peinture grise, un lit une place au matelas fatigué, une petite table tenant lieu de bureau avec une chaise, et une petite armoire métallique. C’était une piaule pour militaire de base, au confort sommaire. Mike s’en contentait parfaitement, car il ne pensait de toutes façons pas y passer trop de temps.
Un lecteur MP3 vissé sur ses oreilles, Mike s’était enfin décidé à déballer son paquetage et ses quelques effets personnels. La dotation en vêtements militaires, une tenue de cérémonie dans sa housse, trouvaient leur place dans l’armoire.
The Black Keys – I Got Mine
I was a movin' man in my younger days (J'étais un homme avec la bougeotte dans mes jeunes jours)
But I gone out of my ramblin' ways (Mais je suis sortit de mes chemins décousus)
I left that road so far behind (J’ai quitté cette voie loin derrière)
Mike commençait à se sentir un peu chez lui ici, dans ce complexe à des dizaines de mètres sous terre. Prendre possession de la chambre en y rangeant ses affaires en était le signe, il savait qu’il était là pour un long moment.
Le lecteur MP3, en lecture aléatoire, enchaîna sur un autre morceau.
The Foo Fighters - Statues
We got by, though we never needed much (Nous avons traversé ça, sans jamais avoir besoin de grand’ chose)
A sliver of hope, no diamond ring (Un petit peu d’espoir, pas de bague de diamant)
We got high, it was heaven, it was hell (Nous sommes montés haut, c’était le paradis, c’était l’enfer)
Flying over them with broken wings (Volant au-dessus d’eux avec des ailes cassées)
Il lança deux bouquins sur le lit, fit passer un vieux jeans usé du sac à l’armoire, puis son t-shirt fétiche. Debout au milieu de la chambre, Mike arrêta ses yeux sur lui un instant. Il le trimballait partout avec lui au fil de ses affectations, toujours au fond d’un sac que ce soit en déplacement privé ou en mission. Le tissu rouge un peu râpé avait perdu de son éclat d’origine, l’inscription sur la poitrine se craquelait, mais malgré l’usure des coutures Mike ne pouvait se résigner à se trouver trop loin de lui. Pourtant peu matérialiste, l’idée même de s’en séparer lui était inconcevable.
C’était le t-shirt qu’il avait laissé à sa fille lorsqu’elle était hospitalisée, un jour qu’elle avait salit son pyjama. Il l’avait alors rhabillée avec le t-shirt qu’il portait sous sa chemise. Quand elle le portait, malgré que son corps amaigri par la maladie semblait s’y perdre, il la trouvait plus belle que jamais, le rouge du tissu rehaussant un peu sa petite mine fatiguée. Elle ne l’avait plus quitté jusqu’à ce qu’elle décède quelques semaines plus tard.
Mike posa le t-shirt comme une relique sur l’étagère du haut de son armoire, en referma la porte et alla s’asseoir sur le lit. Adossé au mur, il saisit d’un des livres une photo qui en avait glissée. On y voit une petite fille de quelques années, au sourire fatigué, allongée dans un lit et portant ce t-shirt rouge.
Mike augmenta légèrement le son du MP3.
Jeff Buckley – Alleluia.