C’était à l’autre bout du monde… Enfin, du couloir en réalité. Loin et proche à la fois de son propre bureau. A l’opposé presque, comme si cette extrémité symbolisait leurs différents points de vue et leur façon bien distinctes de gérer cette base. Le personnel qui travaillait ici devait rendre compte à deux personnes : l’un étant le chef militaire du programme Stargate, le Général Jack O’Neill, l’autre étant un agent du CIS enquêtant et réglant les problèmes internes. Celui-ci avait eu fort à faire avec le retour de certains membres du Dédale, tout comme Edgar Roover, mais à un degré moindre. Les enquêtes et les interrogatoires s’étaient enchainés et des décisions devaient être prises, des gens devaient être tenus comme responsables et sanctionnés afin de pouvoir tourner la page de cette catastrophe qui leur avait coûté un vaisseau de combat presque neuf, ainsi que le trois quart de son équipage.

« Monsieur, votre rendez vous de 15h… »

O’Neill ne l’écoutait pas, déambulant dans ce couloir qui n’en finissait pas. Il était comme un de ces vieux qui fuyait sa maison de retraite, en quête d’une liberté, d’un espace pour vivre ses derniers jours en paix. Derrière lui, marchant sur ses talons, la secrétaire courait presque, telle l’infirmière chargée de le ramener dans sa chambre pour lui faire sa toilette.

« J’insiste ! »

« Oui, oui… Je n’en ai pas pour longtemps. »

Là, voilà. Il s’arrêta brusquement devant une porte grise qui avait l’unique singularité d’appartenir à un certain Joey Rasmussen. Il s’était stoppé si brutalement, sans prévenir, que sa secrétaire faillit lui rentrer dedans et faire tomber sa pile de paperasse qu’elle portait avec tant de grâce, et de classe, enveloppé ainsi dans son bras gauche et touchant presque sa poitrine à faible amplitude.
O’Neill prit une petite inspiration, ne sachant pas trop ce qu’il comptait dire. Il avait juste promis à Eiden Andrews qu’il parlerait à Rasmussen, et il comptait bien le faire maintenant. Après tout, c’était sa base. Il toqua à la porte et ouvrit peu après, même en n’ayant pas entendu l’autorisation d’entrer.

« Monsieur Rasmussen, je ne vous dérange pas au moins ? Pardonnez-moi pour cette visite fortuite. » De toute manière, il n’en avait rien à foutre. Ca n’allait pas durer trois heures.

« Comment se passent vos petits interrogatoires ? »

Jack venait de faire un pas dans la pièce, suivie de près par la secrétaire qui semblait ulcérer à l’idée d’avoir fait une entorse à l’emploi du temps… Enfin, Jack ne pouvait pas le voir d’en face. Mais il sentait bien le souffle rapide et perturbé de la jeune femme dans son cou, comme si on lui avait ordonné de montrer un bout de ses parties intimes et qu’elle s’en offusquait…

L’homme qui lui faisait face avait ce petit côté mystérieux et misogyne que Jack connaissait très bien. Nul doute, le CIS avait le don et le flair, pour recruter la crème de la crème des enfoirés de bureaucrates pour faire le sale boulot. Enfoiré était peut être un mot exagéré car le Général ne le connaissait pas tant que ça. Autant il pouvait juger son travail qui pouvait se révéler d’une dignité exécrable, autant il ne se permettrait pas de mettre trop vite des noms d’oiseaux sur la tête de Rasmussen. Mis à part des rumeurs, des bruits de couloirs et quelques rares témoignages, O’Neill n’avait jamais été sûr à cent pourcent de la mentalité de cet homme. La question était de savoir de quel bord il était. S’il était là pour l’aider à diriger le navire, où s’il était là pour jeter l’ancre à la mer et l’empêcher de naviguer.
L’agent du CIS répondit à sa première question avec beaucoup d’amabilité, cherchant à faire son travail correctement, qui était de trouver les raisons de la perte du Dédale. Ce n’était pas ça qui posait le plus problème aux yeux - où plutôt à l’œil - de Jack O’Neill.
A la surprise générale, il lui proposa un verre d’alcool alors qu’ils étaient en service. Mais qui irait balancer ? La secrétaire ? Lui-même ? Ca serait un moyen de créer une sorte de petite bulle de confiance entre eux, avant d’entamer le vif du sujet.

« Avec plaisir. Pour moi uniquement. » Répondit le commandant du SGC, ignorant sans états d’âmes le hoquet stupéfait de la secrétaire dans son dos.

« Mademoiselle Olsen ? Veuillez m’attendre dans le couloir je vous prie. Fermez la porte derrière vous. »

Les talons aiguilles firent demi-tour et sortirent de la pièce, laissant les deux hommes seul à seul. Jack attendit que Rasmussen lui serve son verre, bien aimable qu’il était de faire partager sa réserve de gnôle. Voyant un siège libre devant lui, il avança de quelques pas, rythmés par le bruit métallique de sa prothèse à la jambe, celle qui faisait « clic » à chaque fois qu’il se servait de ce pied artificielle comme point d’appui pour marcher.

« Je me permet. » Fit-il avec un sourire courtois avant de tirer sur la chaise et de s’engouffrer dans son espace laissé vacant. D’ailleurs, le tissu était encore chaud, signe qu’une personne s’était assise ici peu de temps avant. Une personne qui avait du transpirer à flot, vu la désagréable sensation de chaleur qui était restée imprégné.

« Je suis heureux que votre enquête se passe comme vous le souhaitez » Commença-t-il par dire d’un ton léger et sincère.

« J’ai croisé le Docteur Andrews dans le couloir… » Ce mensonge, il le dissimula derrière les traits de son visage comme il savait si bien le faire. Son interlocuteur n'avait pas à savoir que c'était elle, en réalité, qui était venue à son bureau. « C’est une miraculée, comme le peu de ses collègues qui ont pu revenir vivant. Je lui ai posé quelques questions, par simple curiosité de ma part je dois l’avouer... Mais elle semblait assez inquiète, en particulier concernant son avenir parmi nous… Elle a peur d’être tenue pour responsable de la perte du Dédale. J’ai été surpris, je n’y aurais pas pensé une seule minute… Avec la mort de Dablord et le coma du Colonel Turner qui ne peut témoigner, il serait injuste de lui accabler tous les tords, bien que son statut de Médecin-chef lui conférait une certaine autorité… »

Il fit une légère pause, essayant de scruter la réaction de Rasmussen. Il n’était pas sensé s’immiscer dans cette enquête, ni essayer de convaincre l’agent du CIS dans ses conclusions. Mais une telle responsabilité était pendue au nez de celui-ci que Jack ne pouvait pas s’empêcher d’y ajouter son grain de sel. Il avait un avis, il comptait le faire savoir. Mais en douceur, et d’une manière la plus innocente possible, récitant les faits avérés comme s’il les découvrait à l’instant même…

Jack continua d’apprécier son verre d’alcool, tout en prenant un air détaché quant au sujet qu’ils étaient en train d’aborder, afin de ne pas montrer trop d’implication dans un dossier compliqué, qui avait entrainé une enquête du CIS. Il ne regardait presque jamais Rasmussen, posant son regard sur le tapis par terre, sur son bureau et puis sur un vulgaire tableau accroché au mur, une œuvre perdue réalisée par un artiste dont l’inspiration avait du être en pleine dégénérescence. Quand Rasmussen déclara que le Docteur Andrews était la plus facile à sanctionner à cause de la mort d’Evans et le coma de Jason, Jack ne put s’empêcher de lever son verre.

« Au docteur Dablord ! Qu'il repose en paix... » Dit-il avant de siffler son verre comme du petit lait.

« J’espère de tout cœur que Turner se réveillera bientôt, et qu’il nous éclairera dans cette affaire. »

Le Colonel Turner était un ami à Jack. Il voulait le revoir en forme, debout, partant en mission comme dans le temps. Il ne méritait pas de finir sa vie dans un lit d’hôpital.
Rasmussen partagea la nouvelle de la grossesse d’Andrews, chose que le Général savait déjà vu qu’il s’était déjà entretenu avec elle à ce sujet, mais il n’en dit rien. La remarque de l’agent du CIS fit naitre un sourire sur son visage. Voilà qu’il se prenait pour une sainte nitouche maintenant.

« Faut voir, parfois des liens peuvent se créer entre militaires quand il s’agit d’affronter une longue situation particulièrement pénible… Je parle évidemment de liens affectifs entrainant certains écarts de conduite, mais quand on perd tout espoir de revenir chez soit qui sait de quelle façon aurions-nous réagi… Si vous étiez perdu sur une planète avec le Docteur Andrews, sans garanti de retour, nerveux et alimenté par l’adrénaline de la survie dans de telles condition… Auriez-vous résisté au désir charnel ou auriez vous succomber à la nature humaine ? Je vous le demande Rasmussen... Qu’auriez vous fait ? Libérer leur pulsion de cette façon a probablement été la chose qui les a fait tenir sans perdre les pédales pendant tout ce temps. Ensuite un accident peu vite arriver… Elle est enceinte. Elle sait quel choix il lui reste à faire. » Il posa son verre vide sur une table basse. « Croyez-moi, elle prendra ses responsabilités. Je m’en porte garant. »

Il n’avait pas hésité à parler directement, en essayant de faire imaginer à Rasmussen, qui se croyait intouchable et impeccable dans sa veste, qu’il n’aurait pas fait mieux s’il s’était retrouvé à là-bas aux côtés d’une si jolie femme telle que Eiden Andrews. Il n’aurait pas résisté à l’appel de sa petite fleure, désirable et plaisante à la fois, le temps de quelques instants, avant de faire face à nouveau aux dangers qui les guettaient sur cette planète…