La neige tombait dru sur le pont de la frégate USS Ingraham. Une journée de froid et de neige comme il en existait des tas en Mer du Nord en cette saison. La visibilité était réduite et une neige humide et collante recouvrait tout sous un épais manteau blanc. Assurant le droit de présence dans les eaux internationales de la marine américaine, la frégate de 138 mètres de long avançait paisiblement à une vitesse de 5 nœuds, régime de patrouille normal. Au sein de son poste de combat, des hommes et des femmes somnolaient à moitié, plus préoccupés par savoir ce qu’ils allaient faire en rentrant au port que par leur mission présente. Un tel niveau de relâchement n’était pas courant dans la marine américaine, mais le temps et la période de l’année s’y prêtaient.

Philip pénétra sur la passerelle sans un mot, un cigare éteint aux lèvres. Pilote sur Seahawk, le temps pourri qui régnait ici l’obligeait à rester cloué à bord, et comme il n’était là que pour faire voler son hélico, il se sentait un peu inutile à bord. Il se dirigea silencieusement vers le CGO, qui dormait devant son écran, une tasse de café froid posée sur la tablette devant elle. Il la secoua doucement en la prenant par l’épaule

- Hé Nath’… C’est pas encore l’heure de dormir.
- Je sais, capitaine. Mais on a vraiment tous du mal et ce quart est le plus ennuyeux de toute ma carrière.
- Dans une semaine on est à la maison, capitaine… Alors tâchez de tenir le coup, le commandant n’aime pas tellement savoir que des hommes – et des femmes – dorment pendant leur quart.
- Oui capitaine… Vous direz rien au chef ?
- Non. Philip sourit doucement à Nathalie. Sinon comment est le temps ?
- Toujours aussi pourri. Froid, neige et glace pour les sept prochains jours. Au moins, on n’a pas de tempête.

Philip secoua la tête silencieusement, contemplant par les hublots la neige qui continuait à tomber. Un jeune maître principal arriva alors vers lui et le CGO, qui était chef de quart. Il lui tendit un message radio, vieux d’il y a à peine 5 minutes. Nathalie dévisagea le jeune radio.

- Pourquoi avez-vous autant traîné ?
- J’ai dû authentifier les ordres madame…
- Et merde... Elle se dirigea vers la diffusion générale du bâtiment. Branle-bas de combat, branle-bas de combat !! Ceci n’est pas un exercice ! Tous à vos postes de combat !

Nathalie raccrocha le combiné de la diffusion générale tandis que les hommes de quart allaient à leur poste. Le commandant McKee arriva moins de deux minutes après l’appel. Il salua Philip et son CGO.

- CGO. Capitaine.
- Commandant. Je crois que le CGO a un truc qui la fait flipper. C’est quoi ce petit message de l’amirauté CGO ?
- Commandant, d’après le message que j’ai en main, nous venons de perdre un sous-marin non loin de notre zone. Nous devons aller en récupérer les survivants.

Le commandant prit la feuille des mains du CGO et la lu à haute voix, informant du même coup le second qui venait d’arriver de la salle des machines.

- Ce matin à 6h00, le sous-marin nucléaire USS Oklahoma, numéro de coque SSGN-744, a lancé un signal SUBSUNK. D’après un rapport d’avarie, il semblerait que le sous-marin soit entré en collision à haute vitesse avec une épave. Les dégâts sont important la sphère avant détruite et l’étanchéité du compartiment torpille hasardeuse. Ils ont cependant réussi à refaire surface et semble pouvoir rentrer chez nos amis brits par leur propres moyens. Là où est le problème, c’est que le sous-marin se trouve lui aussi en plein blizzard et qu’une vingtaine de membres d’équipage ont été blessés. Notre mission est donc simple : rejoindre au plus vite le sous-marin et pour vous, Philip, récupérer les blessés et nous les ramener à bord en attendant qu’un SeaKnight ou un Stallion veuille bien les récupérer. Second, fais préparer le premier Seahawk. Philip, il vous faut quelque chose ?
- Non… Enfin si, faites préparer une équipe médicale ici et donnez-moi un toubib pour emmener avec moi. Ca peut être utile aux subs. Sur ce, je file me préparer.

Philip sortit du CO et fila en direction de sa cabine pour récupérer son équipement de vol. Il ne quittait jamais sa combinaison et il vit un mot griffonné par son copilote ‘Je m’occupe du démarrage’. Il sourit doucement. Son copilote était très dévouée et en plus bien sympathique. Il enfila ses gants de vol puis son gilet de sauvetage. En arrivant dans le hangar appareil, il entendit le bruit des turbines du Seahawk qui démarraient. Il monta à bord et enfila son casque rapidement, branchant le micro et le masque à oxygène sur le réseau du bord de l’appareil. Il se tourna vers le capitaine de corvette Helen Rafferty en souriant puis mis son masque à oxygène pour communiquer avec le CO.

- India ici Seahawk Zéro-Un. Qualité réception ?
- Seahawk Zéro-Un, fort et clair. Zone dégagée pour décollage. Pour le sub, heading 0-5-6, distance 34 nautiques.
- Reçu. Seahawk Zéro-Un, out.

Philip augmenta le cyclique de l’appareil pour le faire doucement décoller du pont d’envol. Maintenant qu’il était stable, le remous du pont d’envol était clairement visible, et la neige glacé rendait la surface glissante. Philip appréhenda d’avance l’appontage. Philip inclina le nez du Seahawk en direction de l’Oklahoma, ce demandant ce qu’il allait bien trouver là-bas.

Ils volaient maintenant depuis un quart d’heure. La neige tombait de plus en plus fort et Philip se demandait au fond de lui s’il n’allait pas louper le sous-marin dans cette purée de pois. Mais non, le sous-marin était là devant lui, flottant à la dérive telle une baleine échouée. Il prit immédiatement contact avec le sous-marin.

- Oklahoma pour Seahawk Zéro-Un, Oklahoma pour Seahawk Zéro-Un. Répondez. Over.
- Seahawk Zéro-Un… Diablement content de vous voir. Je pense qu’on a comme qui dirait besoin d’un petit coup de main. Vous pouvez nous le filer ?
- Très drôle October Quatre-Quatre. On va vous hélitreuiller le toubib et on commencera le Medevac.
- Reçu Seahawk Zéro-Un. Vous pouvez vous aligner sur la plateforme arrière missile.
- Négatif, on vous le treuillera directement dans le massif. Pour les blessés on verra.
- Reçu Seahawk Zéro-Un. Etat du carburant ?
- Au rythme actuel, je dirais environ 1h30 de vol. On vous envoie le toubib. Over.
- Reçu Seahawk Zéro-Un. Out.

Le chef de cabine, un enseigne de vaisseau expérimenté, prépara le médecin pour qu’il puisse descendre à bord du sub. Il le fit descendre doucement jusque dans la baignoire, située au sommet du massif, où il fut récupéré par l’équipe de quart de l’Oklahoma. Philip appela l’Ingraham pour qu’il puisse procéder à la procédure de décollage du second Seahawk.

- India pour Seahawk Zéro-Un, faites préparer le deuxième Seahawk. Nous procédons au début du Medevac. Over.
- Reçu Zéro-Un. Bonne chance !! Out.

Philip ajusta le collectif pour pouvoir s’aligner sur la plateforme des missiles du sous-marin lanceur d’engins. Doucement, il fit descendre le Seahawk, pour finalement le poser doucement sur l’arrière du sous-marin. Philip prit la parole d’une voix stressée.

- October Quatre-Quatre, commencez le Medevac. Over.
- Commencer le Medevac, reçu fort et clair.

Aussitôt une porte s’ouvrit à l’arrière du massif, donnant accès dans une longue coursive faiblement éclairée. Quatre civières en sortirent, portées par des marins peu rassurés de se trouver ici. Le commandant du sous-marin s’approcha en courbant l’échine, pour se protéger du souffle des pales. Philip ouvrit la vitre avant de sa portière.

- Ce sont quatre de nos blessés les plus graves. Deux souffrent de trauma crâniens et un autre d’une hémorragie interne. Je crains qu’il n’en ait plus pour longtemps.
- Reçu, commandant. Notre second Seahawk arrive. Tenez bon.

Philip fit redécoller le Seahawk en trombe après l’embarquement des blessés, tandis que le toubib s’occupait silencieusement des blessés à l’arrière. Après vingt minutes de vol, le pont de la frégate était en vue. Mais au moment de contacter pour atterrir…

- Seahawk Zéro-Un, orbitez un moment. Over.
- Bordel il se passe quoi ?!
- Le pont est aussi glissant qu’une patinoire… L’atterrissage est impossible. Pouvez-vous treuiller les blessés ? Over.
- Affirmatif, India… Mais sachez qu’ils sont plutôt dans un sale état.
- On prend le risque… Il faut les stabiliser à tout prix.
- Sinon comment dois-je faire pour me ravitailler ? Je commence à être sur les réserves, over.
- On étudie le problème. Seahawk Zéro-Deux vient de récupérer les derniers blessés graves et revient. Le sous-marin nous a signalé que les blessés encore à bord ne nécessitent pas d’EvaSan. Vous pourrez donc orbiter autour de la frégate en attendant.
- Reçu… Sachez qu’il me reste à peine vingt minutes de kéro. A vous de me trouver une solution si vous ne voulez pas que le Seahawk fasse un plongeon en mer. Out.

Philip observa silencieusement l’hélitreuillage des blessés puis fit signe aux deux enseignes de vaisseau qui se trouvaient dans la cabine. Il ne pouvait pas se permettre de leur faire courir le moindre risque, et comptait bien les faire évacuer.

- Oui capitaine ?
- Les gars… Helen va vous treuiller à bord de la frégate. On ne peut pas se poser pour le moment. Le pont est gelé… A croire qu’ils n’ont pas de solution. Bref. Rejoignez la frégate et bonne chance les gars.
- Sauf votre respect chef… On voudrait bien rester avec vous. Et pis on ne va pas vous laisser en amoureux avec le captain non ? Faut pas déconner…
- Okay les gars… Vous l’aurez voulu.

Philip prit la parole dans la radio, tout en continuant son orbite. Il voulait savoir ce qu’il était advenu du deuxième hélicoptère, qui avait décollé comme lui et qui ne pouvait pas se poser. C’est alors que le CIC de la frégate le contacta.

- Seahawk Zéro-Un, ici India. L’Independence peut vous accueillir à bord, ça vous intéresse ?
- Bien sur que oui ça m’intéresse !!
- Bien… Heading 1-4-7, distance 41 nautiques. Rappelez Indy en finale d’approche. Ils ont déjà accueilli Zéro-Deux… Ils peuvent bien vous prendre aussi. On vous passe sous le contrôle d’Eagle Zéro-Sept. Out.
- Eagle Zéro-Sept pour Seahawk Zéro-Un.
- Bonjour Seahawk… Paraît qu’il vous faut le plein ?
- Ouais ça serait bien… Tu peux nous guider jusqu’à ton pont plat ?
- Grumph… Ouais, t’as de la chance d’avoir un gros cul pour surveiller tes arrières.

Cap sur le porte-avions, plein gaz. L’imprudence fait parfois prendre des risques, mais Philip voulait arriver au plus vite sur le porte-avions et ainsi retrouver la sécurité. Après 20 minutes de vol, le porte-avions semblait toujours aussi éloigné. Les turbomoteurs continuaient de pomper leur carburant, à un rythme effréné. Mais à bord du Seahawk, la situation empira d’un coup. Le voyant d’essence s’alluma subitement, faisant du même coup retentir une alarme dans le cockpit. Les jauges indiquèrent que les réservoirs étaient à sec.

- Et merde…
- Tu l’as dit, Helen.
- Le porte-avions !! Là, visuel à deux heures !!
- Ouais je crains qu’on soit court…

A peine Philip avait-il fini ses paroles que les turbomoteurs s’éteignirent, plongeant l’appareil dans un silence de mort. Le mauvais problème des hélicoptères était leur capacité à planer. Et aussi bien conçu que fut le Seahawk, il planait mal.

- Indy… Ici Seahawk Zéro-Un. On a éteint. On passe en auto rotation.
- Reçu. On prépare les secours. Vous êtes à 1 kilomètre. Vent relatif 20 nœuds, pression 1002 hPa. Pedro en vol, vous êtes clear pour atterrir.
- Helen… Altitude ?
- 1500 pieds. Vitesse 100 nœuds en chute.
- Ca ne passera pas. On va se planter dans l’eau.

Philip embraya le rotor principal et réarma les turbines dans l’espoir vain qu’elles fonctionnent de nouveau. Celles-ci démarrèrent un instant puis s’arrêtèrent de nouveau. Le rotor tournait silencieusement tandis que le Seahawk descendait doucement. Philip secoua doucement la tête tout en respirant profondément au travers de son masque.

- Okay, Seahawk. Vous planez plutôt bien. Votre taux de descente est bon. Préparez vous à atterrir.
- Allez les gars on s’accroche.

Le pont grossissait de plus en plus rapidement dans le pare-brise de Philip. Il se tourna vers Helen et les deux chefs de cabine

- Paré à l’impact !! On touche !!

Philip coupa les arrivées d’essence et débraya complètement les rotors. L’appareil tomba avec autant de grâce qu’une feuille morte pour aller s’écraser à faible vitesse sur le pont d’envol du porte-avions. Un gigantesque fracas métallique se fit entendre, tandis que la structure s’écrasait autour de lui. Les écrans se brisèrent, projetant plein de morceaux de verre dans la cabine. Le manche frappa violemment son genou gauche, tandis que son masque était arraché par la violence du choc. Le rotor déchiqueté tourna encore un peu pour s’immobiliser dans le silence le plus complet. Deux secondes et tout était fini. Les équipes anti-incendie arrosèrent l’hélicoptère de mousse tandis que les infirmiers se ruaient pour récupérer les membres d’équipage. La radio grésilla doucement dans les oreilles de Philip, qui secoua doucement la tête, reprenant doucement conscience après le crash.

- Seahawk Zéro-Un ?
- Ici Seahawk Zéro-Un… Crash réussi. Over.
- Bienvenue à la maison, Seahawk Zéro-Un…